Résilier un contrat SaaS... sans contrat complet ni preuve des manquements de l’éditeur

Les contentieux liés au déploiement de projets informatiques ne sont pas nouveaux, mais trouvent bien souvent leur origine dans la signature d’un contrat insuffisamment structuré et non négocié. Retour en arrière sur un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris il y a quelques mois, qui illustre à la fois l’exigence de rigueur contractuelle en la matière et l’importance de documenter avec précision les manquements du prestataire informatique lorsqu’une résiliation du contrat est envisagée.  

Cour d'Appel de Paris, 27 Juin 2025 n°22/13990

La Société MDL international, franchiseur d’une marque et exerçant avec un réseau de succursales, a souscrit le 9 Janvier 2017 un abonnement à un logiciel de gestion commerciale en mode SaaS (dénommé Lomaco On Line Gestion) auprès de l’éditeur. Le devis ainsi signé prévoyait un abonnement pour l’intégration de l’application, moyennant une contrepartie de 5.000 Euros par mois pendant 60 mois, avec la livraison d’un site pilote au 9 Mai 2017 avant un déploiement global auprès des franchisés de la Société MDL.  

Des divergences sont néanmoins intervenues entre les parties quant aux modalités du test du site pilote et son déploiement, conduisant la Société MDL à mettre en demeure l’éditeur le 13 Mars 2018 d’avoir à déployer l’application sous huit jours. Le contrat était ensuite résilié par la Société MDL le 27 Avril 2018 suivant.

Par acte du 26 Juin 2020, le prestataire éditeur assignait la Société MDL devant le Tribunal de Commerce de Paris (devenu Tribunal des Activités Économiques), contestant les motifs de la résiliation, et sollicitant la condamnation de cette dernière au paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice financier subi, du temps mobilisé pour le déploiement du logiciel et du préjudice moral consécutif aux conséquences vexatoires de la rupture du contrat, soit un montant total de 678.750 Euros toutes causes confondues.

Aux termes de son jugement en date du 15 Juin 2022, le Tribunal de Commerce déboute l’éditeur de l’ensemble de ses demandes, considérant la résolution du contrat fondée et légitime et le condamnant au paiement de la somme de 44.041 Euros au titre du personnel de la Société MDL ayant travaillé sur le projet de déploiement.

Selon le Tribunal, la rupture du contrat était justifiée par les manquements de ce dernier, notamment à son obligation de communiquer un calendrier de déploiement de l’application et de respecter le délai et les modalités prévues pour l’installation du site pilote, qui devait prendre place dans une succursale de la Société MDL et non dans l’établissement de l’une de ses franchises, au plus tard le 9 Mai 2017. S’agissant des défaillances du logiciel alléguées par la Société MDL, le Tribunal retient qu’aucun procès-verbal d’installation de l’application sur le serveur de la Société MDL n’a été établi et que ses fonctionnalités standards étaient défaillantes, de sorte que cette dernière n’a pu ni tester l’application ni la déployer dans ses succursales.

La Cour d’appel de Paris, aux termes de son arrêt du 27 Juin 2025, censure le jugement du Tribunal de Commerce de Paris, en adoptant une lecture stricte du contrat conclu entre les parties.

Elle retient en outre qu’aucun manquement contractuel ne pouvait être retenu à l’encontre de l’éditeur quant au respect des délais dans la mesure où, si le devis signé prévoyait effectivement un délai pour l’installation du site pilote, aucun délai n’était fixé pour le déploiement de l’application.

La Cour poursuit en précisant que ce même devis n’instaurait aucune sanction en cas de non-respect du délai de livraison de l’application sur le site pilote, et que si l’éditeur a effectivement tenté d’installer l’application dans une succursale de la Société MDL, cela ne constituait pas en tant que tel une violation du contrat.

Enfin, et c’est un point central de l’arrêt, la Cour retient que la Société MDL ne rapporte aucune preuve de défaillance de l’application en cause, alors même que les deux rapports d’expertise dressés à l’initiative de l’éditeur étaient favorables à ce dernier, de sorte que les manquements dénoncés et fondant la résiliation du contrat ne sont pas démontrés.

La Cour prononce ainsi la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la Société MDL, et condamne cette dernière au paiement de la somme de 597.000 Euros à titre de dommages et intérêts représentant la perte de chance de percevoir la valeur du contrat constituée de la souscriptions aux abonnements à l’application auprès de 28 succursales (soit 300.000 Euros) et les abonnements de 275 Euros HT par mois sur 60 mois auprès de 18 magasins franchisés (soit 297.000 Euros HT).

En revanche, la Cour rejette la demande indemnitaire formulée par l’éditeur au titre des salaires exposés pour la mobilisation de deux développeurs informatiques à temps complet, considérant que cette contrepartie entre nécessairement dans la valorisation du contrat déjà indemnisée. Elle écarte également la demande fondée sur la rupture de la confiance, considérant que cette réalité entre dans les « aléas prévisibles des ruptures commerciales ».

Ce contentieux rappelle avec force l’intérêt de la construction d’un contrat informatique structurant, outil essentiel tant pour encadrer la communication entre les parties que pour sécuriser le calendrier d’exécution et sa conformité aux engagements pris, notamment par l’instauration de procédures de réception et de tests rigoureusement définies. De tels dispositifs auraient certainement pu permettre d’éviter un contentieux, ou en tout état de cause au client de disposer d’éléments de preuve documentés des manquements du prestataire informatique.

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