Nouvelle condamnation d’un artiste pop-art pour contrefaçon : le personnage de Tintin, son univers et sa célèbre fusée sont protégés par le droit d’auteur
Le 9 Octobre 2025, un artiste sculpteur aixois a de nouveau été condamné par le Tribunal Judiciaire de Marseille pour contrefaçon par représentation et reproduction des œuvres de Tintin, rappelant que le personnage de Tintin, la fusée typique créée par Hergé, que l’on retrouve dans les albums « Objectif Lune » ou « On a marché sur la lune », et les titres des albums, sont des œuvres originales protégées par le droit d’auteur.
Tribunal Judiciaire de Marseille, 9 Octobre 2025, n°23/02489
Au cœur de cette affaire se trouve un artiste dont la pratique repose sur la création de sculptures intégrant certaines figures de la pop-culture dont Snoopy, Popeye, Mickey… et Tintin, par des techniques de superposition, découpage et collage d’affiches, vendues par différents canaux dont sa propre galerie d’art (la Société CLEMENTINE).
En 2017, cet artiste et sa société ont fabriqué et commercialisé différentes sculptures reproduisant le visage et le buste de Tintin, mais également la fusée typique en damier rouge et blanc reproduite dans plusieurs albums. Ces sculptures étaient présentées au public sous des dénomination reprenant en tout ou partie les titres des célèbres bandes-dessinées Tintin (à titre d’exemple un buste intitulé « Tintin en Amérique – Ultimate Collection ; ou encore « Tintin Rakcam le Rouge », autant de titres que les lecteurs historiques de Tintin reconnaîtront sans difficulté).
Le 18 Mars 2019, la Société TINTINIMAGINATIO (anciennement MOULINSART), en charge de la gestion des droits d’auteur d’Hergé, et l’héritière titulaire des droits moraux et patrimoniaux sur l’ensemble de l’œuvre d’Hergé, ont assigné le sculpteur devant le Tribunal judiciaire de Marseille pour contrefaçon par commercialisation de 55 bustes de Tintin et 14 sculptures représentant la fusée.
Aux termes de son jugement du 17 Juin 2021, le Tribunal confirme que les bustes et sculptures en cause constituent des contrefaçon des œuvres Tintin : les premiers reprenant le graphisme du personnage de Tintin, les secondes la forme originale de la fusée et le damier rouge et blanc utilisé dans l’album pour son revêtement, outre l’utilisation de dénominations reprenant de façon servile ou quasi-servile les titres de 18 albums des aventures de Tintin.
Le sculpteur a interjeté appel de ce jugement et aucun arrêt n’a encore été rendu par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence à date.
La bataille ne s’arrête pas ici : le Président du Tribunal Judiciaire de Marseille, statuant en référés, ordonne le 14 Mars 2022 la cessation de toute exposition et commercialisation des œuvres contrefaisantes, ordonnance confirmée par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, avant que le premier Président de la Cour autorise le 22 Décembre 2022 la saisie de tous documents en lien avec ces actes de contrefaçon et que le Juge de l’exécution ne liquide l’astreinte ordonnée par le juge des référés à la somme de 1.500.000 Euros.
En dépit des décisions et condamnations prononcées, ces pratiques ne cessent pas : l’artiste et sa société ont poursuivi leurs agissements en commercialisant 44 nouveaux bustes de Tintin, conçus à partir des mêmes procédés que les œuvres jugées contrefaisantes, et 2 nouvelles fusées.
En Février 2023, une nouvelle procédure est donc engagée devant le Tribunal Judiciaire de Marseille.
En défense, le sculpteur a vainement tenté de contester tant la matérialité de la contrefaçon que l’originalité des œuvres de Tintin, soutenant que ses sculptures seraient quant à elles uniques et s’en distingueraient nettement, qu’elles résulteraient d’un processus de création matérialisant des choix originaux, de la recherche préalable de pose en passant par la modélisation 3D du projet d’œuvre puis de son ornementation, optant délibérément pour l’emploi de la méthode de marouflage. Le sculpteur alléguait par ailleurs que sa fusée se démarquait de celle de Tintin par sa taille, les matériaux utilisés, pour avoir opéré des choix autonomes et inventifs, notamment dans l’application novatrice du marouflage, les variations et stylisations du motif damier, et dans la sélection des matières utilisées.
Cet argumentaire n’est pas partagé par le Tribunal qui adopte un raisonnement identique aux précédents, faisant totalement sien – en le citant – le jugement de 2021. Les premiers juges rappellent tout d’abord que l’originalité du personnage de Tintin a été reconnue du fait des choix esthétiques non contraints opérés, tels que « sa figure ronde, des yeux ronds, un petit nez droit, une bouche fine ou ronde selon les expressions et surtout une houppette sans cesse relevée » symbolisant la jeunesse, l’innocence et le dynamisme du personnage. Il s’en déduit que Tintin est « sans contestation possible » un personnage « particulièrement reconnaissable », original et notoirement connu – bien que la notoriété soit, rappelons-le, indifférente en droit d’auteur.
S’agissant de la fusée, le Tribunal cite à nouveau le jugement de 2021, reconnaissant que son originalité réside dans « le support tripodique, la forme oblongue plus évasée en son centre, la décoration en damier rouge et blanc » et sa « physionomie propre qui la rend immédiatement reconnaissable, résultant du choix de l’auteur et d’arbitrages qui lui sont tout à fait personnels ».
Les titres des albums de Tintin repris par l’artiste, bénéficient, quant à eux, selon les juges, de la protection des droits d’auteur en ce qu’aucun ne « résulte d’une expression tirée du langage courant […]. Ils sont tous composés d’une combinaison insolite de mots et ne sont pas nécessaires pour désigner les œuvres correspondantes […] Il ne s’agit pas non plus d’expressions génériques pouvant s’appliquer à n’importe quelle bande dessinée », ce qu’avaient retenu les juges de 2021 à l’identique.
Le Tribunal reconnaît ainsi que les bustes et sculptures en cause, en ce qu’ils reprennent les éléments originaux du visage et du buste de Tintin, de la fusée, et empruntent leurs titres à ceux d’Hergé, sont contrefaisants.
Afin d’évaluer le préjudice subi du fait de cette contrefaçon, le Tribunal enjoint à l’artiste et sa société la communication d’éléments comptables permettant d’attester du nombre de vente de ces nouvelles œuvres et du chiffre d’affaires généré depuis 2021, les condamnant ainsi que les galeristes en cause à payer à la Société TINTINMAGINATIO la somme de 100.000 Euros chacun à titre de provision pour le préjudice financier subi, outre 5.000 Euros chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte au droit moral de l’ayant droit.
Une décision qui réaffirme avec force que les modifications d’une œuvre préexistante ne sauraient neutraliser la reprise de ses caractéristiques originales, rappelées à plusieurs reprises et avec une particulière rigueur s’agissant de l’univers Tintin.