Déchéance de marque : nécessité de démontrer l’usage sérieux de la marque pour chaque sous-catégorie de produits et services

Aux termes d’un arrêt en date du 14 mai 2025 (n°23-21.866), la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue réaffirmer, dans le prolongement de la jurisprudence européenne, la nécessité pour le titulaire d’une marque enregistrée pour désigner une large catégorie de produits, susceptible d’être elle-même subdivisée en sous-catégories autonomes, de démontrer l’usage sérieux de la marque pour chacune de ces sous-catégories, ce afin d’échapper à la déchéance de ses droits sur la marque.

Cass. Com, 14 Mai 2025, n°23-21.866

Rappelons que l’enregistrement d’une marque, s’il confère un monopole d’exploitation pour les seuls produits et services visés au dépôt, ne constitue qu’une première étape dans la vie de la marque. Encore faut-il que, par la suite, le titulaire l’exploite de manière effective et sérieuse pour chacun des produits et services, pendant une période ininterrompue de cinq ans, faute de quoi il encourt la déchéance de ses droits sur la marque conformément aux dispositions de l’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle.

L’appréciation de cet « usage sérieux » s’avère particulièrement délicate lorsque la marque en cause a été déposée pour couvrir une catégorie générale de produits ou services susceptible d’être scindée en sous-catégories autonomes.

Contexte.

Dans cette affaire, était en cause la Société Skin’up, qui commercialise des articles cosméto-textiles, dont la fibre textile est imprégnée de principes actifs cosmétiques et végétaux micro-encapsulés sous la marque verbale française n°3292789 ‘Skin’up’ couvrant divers produits de la classe 3 : « préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfums, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ; Dépilatoires ; produits de démaquillage ; rouge à lèvres ; masques de beauté ; produits de rasage ; produits pour la conservation du cuir (cirages) ; crèmes pour le cuir ».

La Société Univers Pharmacie, titulaire de différentes marques ‘UP skin’, a introduit devant l’INPI une demande en déchéance de la marque ‘Skin’up’ pour ces produits désignés en classe 3.

Le 23 Juillet 2021, le Directeur de l’INPI accueille partiellement cette demande et prononce la déchéance de la marque pour certains produits, à l’exception des « huiles essentielles » et « cosmétiques ».

La Société Univers Pharmacie interjette appel, faisant valoir que l’usage sérieux de la marque ‘Skin’up’ pour ces deux catégories de produits n’était pas démontré dès lors que les produits commercialisés par la Société Skin’up sous cette marque se borneraient à contenir des huiles essentielles comme composantes, ce qui évincerait tout usage dans la catégorie générale des « huiles essentielles ». Elle soutient également que les produits en cause correspondraient à des cosméto-textiles amincissants assortis d’une brume amincissante, ce qui justifie de restreindre les droits de la Société Skin’up à ces seuls produits au sein de la catégorie plus générale de « cosmétiques ».

Aux termes d’un arrêt en date du 30 août 2023, la Cour d’Appel de Colmar confirme la décision du Directeur de l’INPI et rejette les demandes de déchéance pour ces deux catégories de produits, position qui n’est toutefois pas partagée par la Cour de cassation.

L’exploitation d’un composant du produit, ne vaut pas usage sérieux du produit.

Pour confirmer la décision du Directeur de l’INPI, la Cour d’Appel de Colmar retient tout d’abord que la Société Skin’up est parvenue à démontrer l’usage sérieux de la marque pour les produits cosméto-textiles et une brume, qui sont des cosmétiques « dans la composition desquels entrent des huiles essentielles ».

La Cour de cassation censure ce raisonnement, considérant que les preuves d’usage des produits fournies par la Société Skin’up, ne pouvaient à elles-seules valoir comme preuves d’usage sérieux de la marque pour toute la catégorie de produits « huiles essentielles ».

Faisant sien le raisonnement de la Société Univers Pharmacie, la Haute Juridiction affirme naturellement que l’usage sérieux de la marque pour un produit implique nécessairement que celui-ci soit commercialisé en tant que tel, et non en tant que simple composant d’un produit.

La preuve d’usage exigée pour chaque sous-catégorie autonome de produit.

S’agissant de l’usage sérieux de la marque pour les produits « cosmétiques », la Cour d’Appel rappelle tout d’abord les dispositions de l’article 2 du règlement (CE) n°1223/2009 du 30 novembre 2009, qui définit le produit cosmétique comme « toute substance ou mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain […] ».

Elle relève ainsi que les produits cosméto-textiles et la brume commercialisés par la Société Skin’up sont composés d’huiles essentielles mises en contact directement avec les parties superficielles du corps humain. Se livrant à une appréciation quasi-textuelle, la Cour en déduit que si le support utilisé par la Société Skin’up est effectivement inhabituel pour désigner un produit cosmétique, il n’en demeure pas moins que les produits en cause sont bien des cosmétiques « puisqu’ils ont un lien direct ou indirectement avec la peau », ce d’autant que les clients ne l’achètent pour le textile, mais pour son effet, qui rentre ainsi dans le champ de la définition du cosmétique.

À nouveau, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle, duquel il résulte que lorsque la demande de déchéance ne porte que sur une partie des produits ou des services pour lesquels la marque est enregistrée, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.

Cette dernière disposition transpose notamment en droit interne l’article 21 de la directive (UE) 2015/2436, identique à l’article 13 de la directive 2008/95/CE, lequel a été interprété par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dans son célèbre arrêt Ferrari du 20 Octobre 2020 (Aff. C-720/18 et C-721/18) quant à la notion de « partie des produits ou services ».

Aux termes de cet arrêt, la CJUE énonce un principe clair : si la marque a été déposée pour couvrir une « large » catégorie de produits et services, susceptible d’être elle-même subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes, il convient d’exiger du titulaire de la marque qu’il apporte la preuve de l’usage sérieux de la marque pour chacune de ces sous-catégories autonomes. À défaut, le titulaire est susceptible d’être déchu de ses droits pour les sous-catégories autonomes concernées.

Le critère pertinent à appliquer afin d’identifier une sous-catégorie cohérente de produits ou services autonomes est celui de la finalité et de la destination des produits ou services en cause.

Se fondant sur la position de la CJUE, la Cour de cassation considère que la Cour d’Appel de Colmar aurait nécessairement dû rechercher si les produits cosméto-textiles et leurs recharges à effet amincissant, pour lesquels la Société Skin’up justifiait pourtant d’un usage sérieux au cours des cinq dernières années, ne constituaient pas une sous-catégorie autonome constituée des seuls produits « cosméto-textiles » au sein de la catégorie plus large « cosmétiques ».

Cette affaire illustre la tendance croissante de la jurisprudence française et européenne consistant à limiter, en les sanctionnant, les dépôts de marques trop élargis, afin de libérer le registre de ces titres en sommeil. Bien que valablement enregistrée, une marque déposée sans réflexion stratégique préalable, comprenant un libellé trop large et décorrélé de l’activité réellement exploitée, reste continuellement exposée au risque de déchéance, quand bien même son titulaire serait en mesure de démontrer l’usage sérieux qu’il en a fait.

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