Responsabilité de l’hébergeur de contenus contrefaisants les marques et droits d’auteur des jeux vidéo Nintendo

Par un arrêt rendu le 26 Février 2025 (n°23-15.966), la Cour de cassation affirme que l’autorité judiciaire peut imposer aux hébergeurs une obligation de surveillance ciblée et temporaire des contenus qu’ils transmettent ou stockent, quand bien même le régime instauré par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (“LCEN”) n’édicte aucune obligation générale de surveillance ni de recherche de contenus illicites. 

Cass. Civ. 1ère, 26 Février 2025, n°23-15.966

La Société DStorage fournit des services d’hébergement et d’infrastructures techniques, de stockage de données en ligne par l’intermédiaire de son site internet ‘1fichier.com’. 

En 2018, les Sociétés Nintendo, The Pokemon Compagny, Creatures Inc et GameFreak Inc, ont alerté la Société DStorage de la présence sur son site internet, de liens de téléchargement de copies non autorisées de plusieurs jeux vidéo dont elles revendiquaient la cotitularité des droits d’auteur, à savoir « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS », « Pokémon Sun » et « Pokémon Moon », ainsi que de plusieurs marques de l’Union européenne et internationales. Elles sollicitaient en conséquence le retrait de ces contenus. 

En réponse, la Société DStorage indiquait qu’une procédure devait être engagée aux fins d’obtenir une ordonnance constatant le caractère manifestement illicite des contenus, ou que les Sociétés pouvaient poursuivre la procédure contractuelle offerte par l’hébergeur visant à se prémunir contre toute demande de retrait abusif et pouvant, sous certaines conditions, permettre l'accès à son outil de retrait. 

Leur demande était réitérée quelques jours plus tard face à l’apparition de nouveaux liens menant vers des copies illicites des jeux vidéo « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 Deluxe », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon ».

La présence persistance de ces contenus illicites et l’inertie de la Société DStorage à les retirer ont conduit les Sociétés Nintendo à introduire une action en responsabilité de l’hébergeur en vue d’obtenir une indemnisation au titre du préjudice subi et le retrait de ces différents liens de téléchargement sous astreinte devant le Tribunal Judiciaire de Paris. 

Le Tribunal Judiciaire, et la Cour d’Appel de Paris à son tour, ont fait droit à ces demandes, considérant qu’en manquant d’agir promptement afin de retirer les contenus manifestement illicites de son site internet, ou en rendre l’accès impossible, alors qu’il en avait été valablement notifié à deux reprises, l’hébergeur de contenus avait engagé sa responsabilité civile, par application des dispositions de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 applicable au litige.

L’article 6-I-2 de la LCEN, dans sa version applicable aux faits, posait en effet un principe d’irresponsabilité des hébergeurs de contenus au titre des activités ou des informations stockées sur leur plateforme. Cette irresponsabilité supposait que l’hébergeur soit (i) n’ait pas effectivement eu connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaitre ce caractère, soit (ii) dès le moment où il en a eu cette connaissance, n’a pas agi promptement pour faire retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. 

[NB : Cette obligation de notifier préalablement à l’hébergeur la présence de contenus illicites a été supprimée depuis l’entrée en application du Digital Services Act].

La LCEN réputait ainsi l’hébergeur informé des faits litigieux dès lors que lui étaient notifiés :

  • la date de la notification ;

  • si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance

  • ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ;

  • les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

  • la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

  • les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications

  • de faits ;

  • la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté. Cette obligation de notification à l’auteur du contenu illicite a également été supprimée par le Digital Services Act. 

Aux termes de son arrêt, la Cour considère les deux notifications adressées par Nintendo comme étant claires et complètes, et affirme que le seul fait de ne pas indiquer les raisons pour lesquelles l’auteur des contenus illicites n’avait pas pu être identifié était sans effet, ces raisons apparaissant évidentes. 

S’agissant du caractère illicite des contenus, la Cour rappelle que les notifications adressées à la Société DStorage faisaient très expressément état des marques déposées par la Société Nintendo reproduites dans les liens de téléchargement des jeux vidéo, sans qu’il puisse être imposé aux demanderesses de démontrer la titularité de leurs droits d’auteur, de l’originalité des jeux ou encore de la matérialité des actes de contrefaçon, ce que n’exigeait pas la LCEN.

La Cour retient ainsi la faute de la Société DStorage, et la condamne à retirer ou bloquer de son site l’accès aux contenus constituant des copies des jeux vidéo sous astreinte de 1.000 Euros par jour, à payer à la Société Nintendo la somme de 885.500 Euros en réparation de son préjudice commercial outre 50.000 Euros en réparation de l’atteinte aux marques dont elle est titulaire, 

La Société DStorage a formé un pourvoi en cassation.

Aux termes de son arrêt en date du 26 Février 2025, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’hébergeur, rappelant que si l’ancien article 6-I.7 de la LCEN n’imposait pas aux hébergeurs une obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent, ni une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, ces derniers peuvent toutefois se voir imposer une activité de surveillance ciblée et temporaire par l’autorité judiciaire.

Ainsi, la mesure ordonnée par la Cour d’Appel consistant en un retrait du site internet de la société DStorage ou un blocage de l'accès aux contenus constituant des copies des jeux vidéo précités, sous une astreinte limitée à six mois, n'imposait à cette société qu'une activité de surveillance ciblée sur des contenus très précis et temporaire et non une obligation générale de surveillance ou de recherche. 

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